Connectivité financier / extra-financier : ne pas oublier les normes comptables !
Publié le 9 septembre 2024Que l’on parle de directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), par les acteurs de la finance (SFDR) ou encore de financements adossés à des critères de durabilité, le rapprochement entre le monde de la finance et celui de l’ESG est grandissant. De nombreuses parties prenantes s’en félicitent et de nombreuses publications présentent des cas d’alignement des états financiers sur les engagements pris par les entreprises en matière de durabilité (réduction d’émission de gaz à effet de serre, engagements sociétaux ou salariaux…). Dans ce nouvel environnement, attention toutefois à ne pas oublier les normes comptables !
Connectivité des deux mondes : de quoi parle-t-on ?
Que ce soit au travers de projets comptables tels que le projet « Climate-related and Other Uncertainties in the Financial Statements » de l’IASB ou au travers d’obligations réglementaires telle que la CSRD, on observe depuis quelques années une prise en considération des engagements extra-financiers (et plus spécifiquement environnementaux dans la majeure partie des cas) des entreprises lors des arrêtés comptables.
Ainsi, dès la mi-2020, dans le cadre de la publication de ses résultats semestriels, Total Energies avait par exemple annoncé déprécier certains de ses actifs pétroliers Canadiens à hauteur de 7 milliards de dollars. Cette dépréciation significative avait trouvé son origine dans la volonté de la major de mettre en cohérence ses engagements environnementaux avec ses pratiques en matière de prévisions.
L’Ambition climat de la société visant à la neutralité carbone avait alors eu raison de ces activités canadiennes jugées non-conformes au nouveau positionnement du groupe.
Renforcement des attentes d’alignement
Plus récemment, l’adoption de certaines obligations de publication en matière de durabilité (CSRD et SFDR principalement) les a conduit à se poser la question de l’alignement des états financiers avec les engagements extra-financiers de façon plus poussée. Qu’il s’agisse de la revue des actifs, de la prise en compte de nouveaux engagements vis-à-vis des salariés, des clients ou des fournisseurs ou encore de la prise en compte de critères ESG dans les financements, l’extra-financiers n’a pas fini d’impacter le monde de la finance. D’autres thématiques suivront très probablement et on peut notamment penser à la prise en compte de l’impact carbone dans les coûts de production et donc le prix pour le consommateur final.
Par ailleurs, l’AMF en France mais aussi de façon plus large l’ESMA au niveau européen encourage les émetteurs et leurs auditeurs à s’assurer de l’alignement des états financiers avec les engagements extra-financiers, en particulier lors de la publication de leurs recommandations annuelles pour la préparation des arrêtés comptables. Au niveau européen toujours, les attentes des régulateurs et des superviseurs des marchés en lien avec la CSRD et la SFDR sont très claires à ce sujet.
Enfin, l’écoblanchiment que l’on pouvait encore observer dans les premières années de la mise en place de cette cohérence est de plus en plus condamné. Le renforcement de la lutte contre ce type de pratique devrait d’ailleurs être prochainement renforcé en Europe, en effet l’UE compte bien réglementer les allégations écologiques pour protéger le consommateur.
Normes comptables et financières : l’alignement extra-financier n’est pas total
Au-delà des évidences que sont les différences de périmètres (notion de contrôle en comptabilité vs. chaîne de valeur en durabilité) ou de temporalité (performance financière historique vs. données prospectives extra-financières), il convient de garder à l’esprit que tout engagement ne donne pas lieu un impact financier tel que la comptabilisation d’une provision ou d’une dépréciation pour ne citer que les plus fréquents.
A titre d’illustration, une société ayant pris pour engagements d’atteindre la neutralité carbone en réduisant ses émissions de 60% d’ici à N+10 et en compensant le différentiel par des achats / annulations de crédits ne serait pas tenue de constater une provision alors que l’engagement est pris publiquement et que le coût de cette décision peut être déterminé de façon suffisamment fiable[1]. En effet, une telle provision reviendrait à constater en N les coûts d’exploitation que la société supportera en N+1, N+2 … alors même qu’il n’est pas permis de provisionner les coûts d’exploitation futurs.
A compter de N+10, si la société constate qu’elle n’atteint pas la neutralité carbone malgré les réductions de ses émissions, alors elle devra constater une provision au titre des crédits carbones qu’elle sera amenée à acheter et annuler. La logique est ici identique à celle applicable pour des coûts de dépollution qui ne sont pas provisionnés tant qu’il n’y a pas de pollution, il convient d’attendre une obligation actuelle en vue de constater une provision.
La connectivité entre les mondes de la finance et de la durabilité s’accroît de jour en jour. Cet alignement est justifié par la prise de conscience grandissante des parties prenantes et se traduit dans les récentes évolutions réglementaires ainsi que dans les attentes des instances de supervisions des marchés financiers. Les normes comptables reposent cependant sur des principes préexistants rendant, à ce stade, impossible un alignement complet des deux mondes.
[1] IFRS IC – Tentative Agenda Decision and comment letters: Climate-related Commitments (IAS 37)
Les auteurs
Aubrun