Projet Omnibus : quels impacts pour la connectivité financier / extra-financier ?

Publications Publié le 29 octobre 2025

Le 26 février 2025, la Commission européenne a publié son projet de directive Omnibus, destiné à simplifier et clarifier les textes européens en matière de durabilité. Ayant pour principal objectif de réduire drastiquement les lourdeurs administratives des entreprises, l’Europe propose ce qui est vécu par beaucoup comme un recul majeur face aux enjeux de durabilité. Parmi d’autres effets, il est intéressant de se demander si ce retour de pendule sonnera la fin de la connectivité entre les sphères financières et extra-financières. 

Afin de comprendre toute l’ampleur de ce projet de directive, il est important d’en saisir les principales dispositions :

  • Relèvement des seuils d’application : désormais, le seuil d’effectif est réhaussé à plus de 1 000 salariés contre 250 précédemment. Cette mesure vise à concentrer les efforts de conformité sur les entreprises ayant un impact significatif, tout en allégeant la charge administrative pour les plus petites structures.
  • Report de deux ans pour les grandes entreprises et les PME cotées : les entreprises de la « vague 2 » et de la « vague 3 » bénéficieraient d’un report de deux ans pour se conformer aux nouvelles exigences. Ce délai supplémentaire devrait leur permettre de mieux se préparer aux nouvelles obligations de reporting de durabilité.
  • Simplification des normes ESRS : Les normes ESRS devraient être simplifiées. L’allégement des « datapoints » et un focus accru sur les indicateurs quantitatifs permettront aux entreprises de se concentrer sur les informations les plus pertinentes.
  • Suppression de l’assurance raisonnable et des normes sectorielles : réduisant le poids de la vérification externe et supprimant la publication de données sectorielles, le projet de directive permet une réelle simplification.
  • Plafond « Chaîne de valeur » : un plafond à la notion de « chaîne de valeur » est intégré, limitant la collecte des données auprès de la chaîne de valeur aux indicateurs du référentiel applicable aux PME.
  • Publication volontaire pour les entreprises en deçà des nouveaux seuils : cette nouveauté permettrait aux petites et moyennes entreprises de s’engager dans une démarche de durabilité sans être automatiquement soumises aux mêmes exigences que les grandes entreprises, tout en valorisant leurs efforts auprès de leurs parties prenantes.

Pour beaucoup, en plus d’être une grande surprise, cette proposition d’évolution est vécue comme un affaiblissement historique des normes environnementales et sociales en Europe. Avec pas moins de 80% des entreprises initialement touchées par la CRSD qui sortiraient du périmètre, le risque que les données extra-financières perdent de l’importance est élevé. Dans ce contexte, la connectivité entre ces données et les états financiers, mise en avant au-cours de ces dernières années, est remise en question à plusieurs titres :

  • Disparation d’un des deux environnements : connecter deux environnements suppose que ces deux référentiels existent. La réduction et le report, voire la disparition, des données de durabilité vont nécessairement freiner la connectivité.
  • Réduction du poids des normes en matière de durabilité : avant que l’Europe ne prenne le virage vert du Green Deal, le sujet de la durabilité existait déjà. Pourtant, son impact sur les états financiers restait limité et peu structuré. Le repli, que l’on pourrait observer dans les mois à venir, laisse à penser que la durabilité pourrait retourner dans l’ombre.
  • Grandes vs. petites et moyennes entreprises : les normes de durabilité actuelles ont été construites pour les grandes entreprises. Ces dernières les ont intégrées, adoptées et ont récemment publié leur premier rapport de durabilité. S’agissant des petites et moyennes entreprises, le niveau de maturité sur le sujet, en interne comme pour un certain nombre de leurs parties prenantes, est moindre et la prise de conscience que ces normes visaient à favoriser risque de s’arrêter net.

Contrairement aux apparences, ce repli des normes de durabilité pourrait créer un mouvement en faveur des thématiques environnementales et sociales. En effet, les principaux reproches émis à l’encontre des normes ESRS étaient leur lourdeur, leur technicité et leur volume. En réduisant à des principes génériques plus large le référentiel applicable, les entreprises, et surtout les PME, pourraient avoir à cœur de poursuivre le chemin de la durabilité avec un référentiel plus adapté. Les dirigeants, qui avançaient contraints et forcés face à des normes qu’ils ne comprenaient pas toujours, pourraient changer d’appréciation et décider de mettre en place des rapports de durabilité plus spécifiques et pertinents.

Dans ce contexte, les enjeux en matière de durabilité prendraient alors un nouvel essor, non pas lié à une contrainte cette fois mais plutôt sur la base d’une volonté managériale. Résilience, création de valeur, attractivité ou rétention des talents, accès à de nouveaux marchés… sont autant d’atouts qui ont été prêtés ou reconnus au sujet de la durabilité. Le dirigeant ou l’investisseur pragmatique ne laissera pas passer de telles opportunités. Gageons donc que le reporting de durabilité continuera d’exister demain, sous une forme différente et probablement plus pertinente. Dans ces conditions la connectivité des mondes financiers et extra-financier pourrait encore avoir de beaux jours devant elle ! Au-delà du rapport de durabilité, le projet Omnibus devrait également toucher la taxonomie européenne, et donc par voie de conséquence les EU Green Bonds qui y sont associés, mais aussi la version européenne du devoir de vigilance. Ainsi, c’est toute la finance verte européenne qui risque apparemment de reculer. Mais cette vision, peut-être pessimiste, devra se confronter au réel et l’on verra très prochainement comment les parties prenantes continuerons, ou non, de s’engager pour une économie durable.

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