Taxonomie environnementale : un critère de comparabilité supplémentaire pour l’évaluateur ?

Publications Publié le 19 février 2025

Les indicateurs chiffrés de taxonomie environnementale ont pour objectif d’identifier les activités durables qui n’aggravent pas le changement climatique. Ce dispositif est présenté au niveau européen comme une « véritable boussole environnementale ». Est-ce une voie intéressante pour faciliter le travail des évaluateurs lorsqu’ils construisent les échantillons de sociétés cotées comparables ? A ce stade, l’approche est tentante mais encore trop souvent inopérante. Voici pourquoi.

L’évaluateur justifie la composition des échantillons de sociétés cotées comparables en utilisant non seulement des critères liés aux activités exercées, à leur géographie, à la taille des groupes, mais aussi des analyses de taux de rentabilité et de croissance de chiffre d’affaires. Cette liste n’est pas limitative car l’exercice du jugement est toujours nécessaire pour la qualité des résultats attendus.

La prise en compte de critères ESG dans l’appréciation de la pertinence d’un échantillon de sociétés comparables fait partie de travaux des évaluateurs, et en particulier les impacts climatiques.

1. Une réglementation applicable aux entreprises européennes

La taxonomie européenne, comme son nom l’indique, est applicable aux entreprises européennes, celles qui sont cotées, puis progressivement celles dépassant les seuils. Toute comparabilité sera exclue pour des entreprises américaines ou de pays hors UE.

2. Une comparabilité ciblée sur les activités « éligibles » les plus exposées

La taxonomie cible une classification d’activité, certes étendue et détaillée, mais limitative[1]. Toutes les activités susceptibles d’être évaluées, notamment dans les services, ne sont pas couvertes.

3. Une classification résultant de choix politiques

La classification d’une activité comme éligible dépend des choix politiques conduits par la Commission, le Parlement et le Conseil européens. Certaines activités ont par exemple fait l’objet de nombreuses discussions entre pays membres (exemple des activités nucléaire) tandis que d’autres n’ont pas encore été analysées (cas de l’agriculture). Des sociétés opérant dans ces secteurs se retrouvent donc exclues de l’analyse.

4. Un choix à opérer entre les indicateurs Chiffre d’affaires, Opex et Capex

La taxonomie vise trois indicateurs distincts. Lequel privilégier comme critère de comparabilité ? Une moyenne arithmétique entre ces indicateurs a-t-elle du sens ? En admettant la parfaite fiabilité des indicateurs, publiés sous le contrôle des auditeurs, mais au sein de juridictions avec des pratiques et des sensibilités différentes, les indicateurs de chiffre d’affaires et de capex semblent plus pertinents. Retenir l’un ou l’autre aboutirait-il à des conclusions différentes pour l’évaluateur ?

5. Un critère d’alignement parfois peu pertinent ou difficile à interpréter

La logique de la taxonomie conduit à isoler un pourcentage d’alignement pour un objectif environnemental défini, au sein d’une activité éligible, pourvu que ce que cette activité ne porte pas préjudice aux autres objectifs environnementaux et respecte les garanties minimales (droits humains, corruption, etc.). Qu’observe-t-on ?

Dans les secteurs le plus exposés, les pourcentages d’alignement peuvent servir de base à des analyses pertinentes, notamment dans l’immobilier, l’énergie et le transport.

Par exemple, dans le secteur des énergies renouvelables, Neoen, Voltalia, Grenergy Renovales, etc. affichent sans surprise des pourcentages d’éligibilité et d’alignement proche de 100%. Dans l’automobile : Renault et BMW affichaient en 2023 plus de 90% d’activité de fabrication bas carbone éligible (revenus et capex) et entre 10% et 20% d’activités alignées (revenus et capex). L’absence de divergence majeure des critères de taxonomie renforce la congruence des échantillons. Au moins pour une vision à date : les risques des stratégies à long terme ne sont pas reflétés dans ces indicateurs.

Dans la plupart des autres activités, les indicateurs sont beaucoup moins étendus, très souvent inférieurs à 5% et donc moins pertinents.

Que faire si les indicateurs divergeaient significativement ? Une analyse approfondie s’imposerait notamment sur la méthodologie décrite dans les commentaires qualitatifs qui sont obligatoirement joints aux tableaux de chiffres. Puis une analyse de la dynamique pourrait limiter un constat à date. Au final, la comparabilité de la société pourrait être si dégradée, qu’il faudrait l’exclure de l’échantillon.

En conclusion, à ce jour, la taxonomie environnementale n’est en général pas adaptée pour servir de critère systématique de comparabilité au sein d’un échantillon de sociétés cotées parce que ces indicateurs ne sont significatifs que dans un nombre limité de secteurs, et uniquement pour des sociétés européennes. Cet exercice à trou rend encore nécessaire l’utilisation d’autres informations pour intégrer le climat à la pertinence des échantillons des évaluateurs.


[1] Cf. Règlement délégué 2021-2139 et ses actualisations.

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